L'Amérique du Sud en émoi autour du gaz bolivien
Un véritable sommet de crise a réuni les présidents du Brésil, d'Argentine, de Bolivie et du Venezuela, jeudi 4 mai, à la suite de la nationalisation des hydrocarbures décrétée par le président bolivien, Evo Morales, le 1er mai. Les quatre chefs d'Etat se sont enfermés pendant trois heures, sans ministres ni conseillers, dans un climat tendu, à Puerto Iguazu, ville argentine située près de la frontière brésilienne.Le sommet a été organisé à la demande des Brésiliens, irrités par le déploiement de troupes dans les installations gazières et pétrolières qui a accompagné l'annonce du président Morales. L'entreprise publique brésilienne Petrobras est la première compagnie étrangère touchée par la nationalisation, alors que le Brésil et l'Argentine sont les principaux importateurs de gaz bolivien.
A Puerto Iguazu, les Argentins ont voulu se présenter en modérateurs. A l'issue de la réunion, le président argentin Nestor Kirchner a lu une déclaration d'une quinzaine de lignes, censée exprimer le consensus retrouvé. Les quatre présidents sont convenus d'assurer "l'approvisionnement en gaz, favorisant un développement équilibré entre les pays producteurs et les pays consommateurs". La discussion sur les prix du gaz, que les Boliviens souhaitent doubler pour le rapprocher des prix du marché international, aura lieu "dans un cadre rationnel et équilibré qui rende viables les transactions".
Lors de la conférence de presse qui a suivi, les quatre présidents ont fait assaut d'amabilités et posé main dans la main pour les photographes. M. Kirchner a juré qu'il avait participé à "l'une des meilleurs réunions depuis (qu'il est) président". A en croire Evo Morales, "cette réunion règle toutes les susceptibilités".
Leur homologue brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, a démenti qu'une alliance entre la Bolivie et le Venezuela se dessine aux dépens des intérêts du Brésil et de l'Argentine. "Petrobras est une entreprise indépendante, qui investira là où elle aura des opportunités de rentabilité", a-t-il précisé.
La compagnie brésilienne Petrobras avait annoncé, la veille, la suspension de ses investissements en Bolivie. Le président bolivien avait dénoncé un "chantage". En fait, toutes les compagnies pétrolières étrangères présentes en Bolivie ont suspendu leurs investissements depuis l'adoption de la loi sur les hydrocarbures, en mai 2005, sept mois avant l'élection de M. Morales.
Le président vénézuélien, Hugo Chavez, a démenti à son tour avoir pesé sur la décision de M. Morales, qu'il avait pourtant rencontré, la veille du 1er mai à La Havane, en présence de Fidel Castro. Avant de se rendre à Puerto Iguazu, M. Chavez est passé par La Paz, accompagné par sept ministres, venus pour conseiller leurs homologues boliviens.
Le président vénézuélien a également nié que l'entreprise Petroleos de Venezuela (PDVSA) tente de prendre la place de Petrobras, tout en confirmant son intention d'investir en Bolivie.
En privé et sous couvert d'anonymat, les Brésiliens dénoncent désormais le "double jeu" de M. Chavez, qui a lancé le projet d'un immense gazoduc destiné à exporter le gaz vénézuélien vers le Brésil et l'Argentine, en concurrence ouverte avec le gaz bolivien, alors qu'il se présente comme le meilleur ami de M. Morales.
Sans aller aussi loin, Marco Aurelio Garcia, conseiller diplomatique du président Lula, admet qu'à Puerto Iguazu les "explications" ont été orageuses et que M. Chavez a "des manières et des préférences très particulières".
"Le rôle de Chavez est néfaste", pointe la Brésilienne Monica Hirst, qui enseigne les relations internationales à l'université Torcuato Di Tella, à Buenos Aires. "La dispute idéologique est en train de faire de l'énergie un facteur de fragmentation et de division entre les pays, au lieu d'être un axe d'intégration régionale", déplore-t-elle. Insatisfait avec le Mercosur (l'union douanière sud-américaine), le président socialiste uruguayen, Tabaré Vazquez, a envisagé, jeudi à Washington, la négociation d'un traité de libre-échange bilatéral. Ce même jeudi, l'Argentine a porté plainte contre l'Uruguay devant la Cour internationale de La Haye, après trois mois de conflit à propos de la construction de deux usines de cellulose sur les rives du Rio de la Plata. "La région est en pleine déconfiture", conclut Monica Hirst.
Paulo A. Paranagua
Chiffres
Le Brésil et l'Argentine ont besoin du gaz bolivien dans des proportions différentes.
Tarifs. La compagnie brésilienne Petrobras importe 26 millions de mètres cubes de gaz bolivien par jour, payés 3,38 dollars le million de BTU (British Thermal Unit), alors qu'il vaut trois fois plus en Californie. Les Boliviens souhaitent porter ce prix de vente à 5 dollars le million de BTU.
Dépendance. Le gaz représente une faible part de la consommation énergétique du Brésil (3 % à 8 % selon les sources). Mais la consommation est concentrée dans la région industrielle de Sao Paulo et dans le Sud.
L'Argentine dépend davantage du gaz (51 % de l'énergie), mais pas autant que le Brésil des importations en provenance de Bolivie, puisque les Argentins sont également producteurs.
Source : LE MONDE | 05.05.06
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