dimanche, avril 02, 2006

Mauritanie : Des millions de barils en réserve

Des millions de barils en réserve
MAURITANIE - 26 mars 2006 - par MARIANNE MEUNIER

Depuis le 24 février dernier, la Mauritanie est membre du club très fermé des pays africains producteurs d’hydrocarbures.

Le 24 février, le gisement offshore de Chinguetti, officiellement découvert en mai 2001 à 80 km au large de Nouakchott, a libéré ses premières gouttes de pétrole. Ce jour-là, la Mauritanie est devenue le quinzième producteur africain d’hydrocarbures. Une consécration sur la scène internationale : classé parmi les pays dits moins avancés, le pays n’a jamais été une priorité pour les investisseurs, bien au contraire. L’or noir vient élever son statut. À l’heure où le baril s’échange à près de 60 dollars, l’immense État coincé entre le Sahara occidental et le Sénégal commence à susciter les convoitises des hommes d’affaires occidentaux qui, jusqu’alors, l’ignoraient bien souvent. On les rencontre dans l’avion ou dans les rues de la capitale, où les prix de l’immobilier se sont littéralement envolés. Mais l’enthousiasme est avant tout perceptible chez les Mauritaniens : « Nous allons devenir le Koweït de l’Afrique », se plaît à exagérer un habitant de Nouakchott.

Avec ses 120 millions de barils en réserve, Chinguetti n’est pas le seul gisement du pays. Banda, Tiof et Tevet promettent eux aussi de donner de l’or noir : d’après les estimations du Fonds monétaire international (FMI), ils sont respectivement dotés de 100 millions, 280 millions et 100 millions de barils de réserves. Au total, la Mauritanie disposerait d’un potentiel minimal de 600 millions de barils, ce qui, à hauteur de 85 000 barils produits par jour, lui laisse vingt ans d’exploitation devant elle. Le temps de constituer un pactole qu’il est difficile d’évaluer compte tenu de la volatilité des cours. D’après les calculs du FMI, extraits d’un document intitulé « Managing Oil Wealth » (Gérer la manne pétrolière), la Mauritanie peut espérer que sa richesse nationale augmente en moyenne de 12 % par an entre 2006 et 2010. L’effet pétrole se vérifie déjà dans les prévisions de croissance pour 2006 : le PIB devrait gagner 26,7 % à la fin de l’année, contre 5,4 % en 2005 ! De même, le budget 2006 escompte 47,1 milliards d’ouguiyas de revenus pétroliers, soit 153 millions d’euros (le calcul est effectué sur la base d’un baril à 45 dollars). En d’autres termes, la ligne budgétaire « or noir » représente 25 % du total des recettes de l’État, en augmentation de 50 % par rapport à 2005.

Que cette manne vienne améliorer les conditions de vie, c’est ce que souhaite chacun des 3 millions de Mauritaniens, dont près de 40 % vivent en dessous du seuil de pauvreté. Avec une nuance de crainte, redoutant que la malédiction de l’or noir qui sévit dans d’autres pays du continent ne s’abatte également sur eux. Les autorités semblent d’ailleurs assez conscientes des inquiétudes de la population à ce propos et cherchent à prouver leur bonne volonté par tout un ensemble de garanties. Le pays a souscrit à l’Initiative pour la transparence des industries extractives (EITI) lancée par Tony Blair à Johannesburg en 2002. Le mot d’ordre est clair : les compagnies pétrolières doivent publier les montants qu’elles versent à l’État producteur, qui lui-même doit déclarer ce qu’il perçoit. En complément, Nouakchott a créé un fonds national des recettes des hydrocarbures. Les sommes perçues iront directement sur un compte dans une banque à l’étranger, et le montant des prélèvements effectués pour financer les dépenses de l’État sera fixé par la loi de finances. Un mécanisme qui n’est pas sans rappeler le Fonds pour les générations futures mis en place par le Tchad. À la différence que la Mauritanie est libre d’affecter ses ressources comme elle l’entend.

Loin de ces considérations financières, les Mauritaniens attendent des améliorations tangibles dans leur vie quotidienne. Obtenir un emploi grâce au pétrole, par exemple. De ce côté-là, le changement doit être relativisé. En 2005, les postes directement liés à l’exploration et à l’exploitation de Chinguetti sont au nombre de 1 488, dont 68 % sont occupés par des Mauritaniens. Pour la plupart, ils sont employés au port ou dans les entrepôts et exercent des fonctions peu ou pas qualifiées, comme chauffeur ou agent de maintenance… Les expatriés, eux, occupent des postes de direction et de construction. Le pétrole étant pour le moment extrait offshore, les effets concrets, qui ont commencé à se manifester dès le début de l’exploration, en 2001, sont à rechercher en dehors de l’exploitation proprement dite. Du côté des importations, que les devises vont rendre possibles, les exportations de pétrole étant payées en dollars. Mais aussi dans les activités de services comme l’hôtellerie, ou dans les augmentations de salaires intervenues en janvier dans la fonction publique et dans certaines entreprises privées. Tous les rêves sont possibles, y compris les plus pessimistes qui prévoient que seuls quelques-uns profitent de l’or noir. Mais, pour l’instant, l’heure est à l’état de grâce.