vendredi, mars 10, 2006

Pétrole : bénédiction ... ou malédiction ?

Par Elisabeth Studer le 28 février 2006

Nowarforoil_3Une presse de plus en plus nombreuse hésite entre les termes de malédiction ou de bénédiction pour qualifier la « manne pétrolière », celle-ci permettant certes d'engranger des profits colossaux mais étant à l'origine de maints conflits dans le monde.

On est en droit de se poser légitimement la question à l'heure actuelle, ou depuis quelques jours, l'or noir fait l'objet de multiples attaques, tout en étant le sujet principal d'importants accidents ou de troubles sociaux-politiques. En effet, la liste des récents évènements concernant les pays pétroliers est pour le moins impressionnante.

Puisque c'est quand même tour à tour en Arabie saoudite, au Nigéria, au Pakistan que des attaques ont eu lieu, un accident survenant parallèlement en Egypte, et des troubles émergeant en Iran suite notamment à la situation préoccupante qui règne actuellement en Irak. Bref si en Europe, le secteur de l'énergie est en ébullition, il l'est également en Afrique et Moyen-Orient mais d'une autre manière ..... Cependant, les prix du pétrole ont chuté lundi, contrebalançant en grande partie la flambée des cours observée vendredi, le marché laissant – pour l'instant - de côté les tensions géopolitiques pour se focaliser à nouveau sur l'ampleur des stocks.

1 – Le pétrole chute après la flambée de vendredi

Les prix du pétrole ont chuté lundi, contrebalançant en grande partie la hausse enregistrée vendredi, le marché faisant abstraction pour l'instant des tensions géopolitiques pour se focaliser sur l'ampleur des stocks. A New York, le baril de "light sweet crude" pour livraison en avril a perdu 1,91 dollar à 61,00 dollars. A Londres, le baril de Brent de la mer du Nord, a perdu 1,61 dollar à 60,99 dollars. Après avoir pris plus de deux dollars vendredi, les cours ont été tirés à la baisse lundi par des prises de bénéfices.

Le marché a accueilli positivement l'accord préliminaire trouvé dimanche entre l'Iran et la Russie sur le nucléaire, tandis qu'au Nigeria, les neuf expatriés du secteur pétrolier pris en otage pourraient être libérés "par petits groupes" cette semaine. A moyen et long terme, le marché craint une possible guerre civile en Irak ou des problèmes de sécurité en Arabie saoudite, mais à court terme, il observe l'importance des stocks, faisant varier ainsi les prix d'un jour à l'autre depuis plusieurs semaines.

Toutefois les prix devraient rester orientés à la hausse car les inquiétudes géopolitiques demeurent. En effet, Téhéran reste ferme sur ses intentions de développer l'énergie nucléaire. L'AIEA doit se réunir lundi prochain à Vienne alors que le marché craint que d'éventuelles sanctions compromettent les livraisons de pétrole iranien. Par ailleurs, les groupes séparatistes au Nigeria n'ont pas renoncé à attaquer de nouveaux les installations pétrolières du pays.

2 - Climat tendu en Arabie saoudite

Al-Qaïda a revendiqué la tentative d'attentat perpétré contre le site de raffinage pétrolier saoudien d'Abqaïq, où sont raffinés les deux-tiers du pétrole du pays. Le complexe fournit 10% de la production quotidienne mondiale et 70% de la production saoudienne de près de 9,5 millions de barils par jour. Il s'agissait de la première grande attaque menée par des activistes d'Al Qaïda depuis décembre 2004. A la même date, Oussama ben Laden avait demandé à ses partisans d'attaquer les installations pétrolières, "en particulier en Irak et dans le Golfe", accusant Riyad de brader son pétrole à l'Occident.

L'opération visant la raffinerie d'Abqaïq est la première contre une installation pétrolière du royaume. Le communiqué affirme que l'attaque a été menée «conformément aux directives de notre émir, cheik Oussama Ben Laden, Dieu le garde, pour viser les intérêts pétroliers».

Lundi, les forces de l'ordre saoudiennes ont tué cinq activistes présumés après avoir assiégé une villa de la banlieue de Ryad. Ces activistes semblent liés à l'attaque menée vendredi. De grandes quantités d'armes et d'explosifs ainsi que du matériel destiné à préparer des voitures piégées ont été saisis. Une sixième personne a été arrêtée dans une opération séparée.

Les deux kamikazes auteurs de l'attentat manqué de vendredi figuraient sur une liste de membres présumés d'Al-Qaïda les plus recherchés par l'Arabie saoudite. En juin dernier, le ministère de l'Intérieur avait publié une liste de 36 noms de personnes suspectées et affirme avoir arrêté, obtenu la reddition ou tué certains des suspects y figurant. La branche saoudienne d'al Qaeda a menacé samedi de poursuivre ses attaques contre des installations pétrolières en Arabie saoudite.

3 – Le Qatar relativise néanmoins l'attentat manqué en Arabie saoudite

Les livraisons pétrolières du Golfe sont sûres malgré les récentes menaces adressées par Al-Qaïda vendredi, a affirmé dimanche le ministre qatarien de l'Energie. Il s'estime en effet confiant sur le fait que les producteurs du Golfe prennent de fortes précautions pour assurer des approvisionnements stables en brut. Selon lui, le secteur pétrolier du Golfe pourrait surmonter l'effet des menaces d'Al-Qaïda comme il avait réussi jusqu'ici à sortir des multiples guerres et conflits qu'a connus la région.
Le Qatar est limitrophe de l'est de l'Arabe saoudite. Membre de l'Opep, il a investi des milliards de dollars au cours de la dernière décennie pour se doter d'installations pétrolières et gazières afin d'exploiter ses riches ressources d'hydrocarbures. Cependant, l’avenir du pays est lié à l’exploitation de l’un des plus grands gisements de gaz naturel du monde... qu'il partage avec l'Iran ..... Découvert dans les années 70 dans une zone appelée le North Field, ses réserves se placent au 3ème rang mondial.

4 – La situation politique actuelle en Irak préoccupante

L'attentat de mercredi contre la mosquée Askariya, un des principaux sanctuaires chiites d'Irak a déclenché un cycle de violences-représailles entre chiites et sunnites qui a déjà fait près de 200 morts. Mais certains chiites dans la région ont redirigé leur colère contre la présence des forces américano-britanniques en Irak, comme le président iranien accusant jeudi les forces d'occupation d'être les auteurs de l'attentat afin de diviser les musulmans.

Les violences qui secouent l'Irak pourraient cependant retenir de plus en plus l'attention des marchés pétroliers, les investisseurs s'inquiètant d'une propagation de la violence à d'autres pays de la région. Depuis l'intervention américaine de 2003, l'Irak a failli basculer plus d'une fois dans la guerre civile mais l'attentat de mercredi a rendu ce risque beaucoup plus proche, faisant surgir le spectre d'un conflit religieux total.

Cependant, le site arabe Elaph basé à Londres suggère que le Ministère iranien des Renseignements pourrait être l’instigateur de l’attentat. Vendredi, plusieurs groupes sunnites en Irak ont accusé l’Iran d’être impliqué dans les attaques de plus de 150 mosquées sunnites à travers l’Irak afin de commencer une guerre civile dans le pays. Le vice-gouverneur de la province où se situe Samara, a annoncé que les assaillants portaient des uniformes du ministère irakien de l’Intérieur. Celui-ci, haut responsable du Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Irak, soutenu par l’Iran, a été démis de ses fonctions après que les forces américaines aient découvert qu’il dirigeait des salles de tortures en "partenariat" avec le Ministère iranien des Renseignements.

5 – Deux gazoducs incendiés au Pakistan

Deux bombes ont explosé dans l'est du Pakistan, mettant le feu à deux gazoducs, ont annoncé lundi les autorités locales. Il n'y aurait pas eu de blessés. Ces attentats, perpétrés dimanche soir, ont endommagé une section de deux gazoducs parallèles près de la ville de Shahwali. Les pompiers ont lutté contre l'incendie pendant six heures avant de le maîtriser, et les réparations ont commencé.

Ces dégâts ont interrompu l'alimentation en énergie de trois centrales électriques, mais le retour à la normale était prévu pour lundi après-midi, une fois les réparations terminées. Les attentats n'ont pas été revendiqués, mais les autorités soupçonnent des tribus de la province voisine du Baluchistan qui veulent obtenir davantage de royalties des ressources extraites dans ces régions.

6 – Situation en Iran

Un négociateur iranien a ainsi déclaré lundi que son pays ne voyait "pas de raison de reculer" sur son programme nucléaire. De son côté, l'AIE s'est inquiétée dans un rapport remis lundi de questions non résolues concernant le programme nucléaire de l'Iran -notamment de ses projets d'enrichissement d'uranium-, mais sans aller jusqu'à l'accuser de rechercher l'arme nucléaire.

Malgré les avancées des négociations russo-iraniennes de ce week-end, la Russie exige par ailleurs de Téhéran un moratoire sur l'enrichissement d'uranium sur le territoire iranien, a insisté lundi le ministre russe des Affaires étrangères.

Parallèlement, plusieurs centaines d'étudiants extrémistes ont lancé dimanche des pierres et des cocktails Molotov contre l'ambassade britannique à Téhéran, rendant la Grande-Bretagne et les USA responsables de l'attentat contre un sanctuaire chiite à Sammarra en Irak. D'autres dénonçaient une nouvelle fois les caricatures du prophète Mahomet publiées dans plusieurs journaux européens.

7 - Egypte: fuite de mazout lourd dans le canal de Suez

Des tonnes mazout lourd se sont déversées lundi dans le canal de Suez lorsqu'un pétrolier battant pavillon libérien a heurté l'une de ses berges. Suite à une panne technique, le navire a dévié et a heurté la berge occidentale du canal reliant la Méditerranée à la mer Rouge. Quelque 3.000 des 58.000 tonnes de mazout lourd qu'il transportait se sont ainsi répandues. Des remorqueurs ont tiré le navire pour l'empêcher de bloquer le transit, alors que le ministère de l'Environnement a participé à circonscrire la tâche de pollution. Le directeur de l'Autorité du canal a assuré que le trafic n'avait pas été interrompu.

Un porte-parole de Greenpeace a indiqué que le navire était "condamné à être mis à la casse". Un responsable de la compagnie grecque propriétaire a cependant affirmé que le pétrolier était en bon état. Il a refusé de préciser la destination du navire.

Troisième source en devises de l'Egypte, les revenus du canal de Suez ont atteint un record historique en 2005, avec 3,4 milliards de dollars, soit + 12,6% par rapport à 2004, grâce à l'explosion du commerce avec l'Inde et la Chine. En cas de blocage, les pertes s'élèvent à sept millions USD par jour.

8 – Nouvelles attaques au Nigéria contre Shell et Agip

Des militants séparatistes ont lancé ce week-end de nouvelles attaques contre des plates-formes pétrolières de la région du Delta du Niger, détruisant une station de pompage de Shell et une station de gaz d'Agip. Les deux infrastructures sont situées dans l'Etat où ont été kidnappés le 18 février des employés expatriés du secteur pétrolier. Les attaques avaient contraint la compagnie à évacuer des centaines de membres de son personnel et à suspendre une production de 445.000 barils par jour.

Des militants séparatistes du MEND, qui vise le contrôle des ressources pétrolière de la région, a revendiqué les récents enlèvements et attaques et a averti jeudi qu'il lancera d'autres attaques. Le groupe a également repoussé les tentatives du gouvernement d'obtenir la libération des neuf expatriés. Des informations non confirmées faisaient état ce lundi de la demande exprimée par le groupe de voir les ambassadeurs des USA et de Grande-Bretagne au Nigeria s'impliquer dans la négociation concernant la libération des employés. Par ailleurs, le gouvernement du Nigeria a prévu pour mardi une réunion avec les responsables des compagnies pétrolières présentes dans le pays. Les récentes attaques ont réduit de 20% la production journalière du Nigeria, qui est de 2,5 millions de barils.

Parallèlement, Shell a été condamné par la justice nigériane à une amende de 1,5 milliard de dollars pour pollution, la société indiquant néanmoins faire appel. Aidé par des ONG nationales et internationales, plusieurs villages avaient lancé l'année dernière une procédure contre les majors pétrolières. Pour l'instant seule Shell a été condamnée et base son appel sur "le manque de preuve concernant les dégradations évoquées", la pollution des eaux et des terres cultivables étant selon elle le fait de sabotages.

La Haute cour fédérale avait ordonné à Shell, le 14 novembre 2005, l'arrêt immédiat du torchage, qui provoquerait notamment de graves maladies respiratoires. Shell avait également fait appel de ce verdict, mais sans arrêter cette pratique.