L'énergie, symbole intouchable de la souveraineté nationale
L'énergie, symbole intouchable de la souveraineté nationale«Pour vous les Français, le retour de la royauté est impensable. Au Mexique, c'est la privatisation de notre compagnie pétrolière Pemex qui est inconcevable. C'est un pan essentiel de notre révolution!» Enoncée avec un brin de dérision, cette explication de Luis Rubio, président du Cidac (Centre de recherche pour le développement) n'est pourtant pas exagérée. Même le très libéral Vicente Fox, qui a tenté en vain d'introduire un peu de concurrence dans le secteur de l'énergie, préfère les partenariats public-privé. De quoi surprendre de la part d'un pays très ouvert au marché, détenteur du record des traités de libre-échange (avec 43 pays, dont les Etats-Unis, l'Europe et le Japon). Un pays qui n'a pas hésité à vendre ses télécoms, à céder ses plus grandes banques à des capitaux étrangers ou, récemment, à libéraliser le transport aérien.
«Pour comprendre, il faut remonter à 1938», affirme un haut-fonctionnaire mexicain spécialiste des questions énergétiques. A l'époque, l'industrie pétrolière appartient à des compagnies américaines et britanniques. Une grande grève survient chez l'une d'elles sur des revendications salariales. Le président Lázaro Cárdenas prend le parti des salariés, via un texte de loi. Mais face au refus des Britanniques de s'y plier, il nationalise le secteur. Et crée Pemex. Les compagnies étrangères seront indemnisées, le peuple entier se cotisant pour y participer. «C'est le début d'une mythologie populaire autour de ce symbole de souveraineté. On l'apprend à l'école...», ajoute ce haut-fonctionnaire, non sans ajouter, un peu accablé: «Ni l'Iran, ni l'Arabie saoudite, ni même Cuba n'ont fermé à ce point leur secteur pétrolier.»
Une ouverture très modeste
Autre monopole intouchable, celui de la distribution d'électricité par CFE (1). Luis Tellez, qui fut ministre de l'Energie du prédécesseur de Fox, Ernesto Zedillo, en sait quelque chose pour avoir élaboré en 1999 un projet de libéralisation complète de la production et de la distribution électrique. L'objectif était de maintenir, voire accroître sur le long terme, grâce à des investisseurs extérieurs, le taux de couverture du pays (95 %), en tenant compte du boom de la demande. Mais face à la mobilisation des syndicats et des députés, le projet de loi a été retiré, sans vote. Depuis, le gouvernement Fox a tenté à plusieurs reprises de faire passer des réformes. Sans succès. L'ouverture du secteur énergétique reste très modeste, via de simples contrats multiservices qui interdisent toute participation aux bénéfices (notamment dans le gaz, où le Mexique, devenu importateur, a de grands projets de terminaux).
Aujourd'hui membre de Carlyle, Luis Tellez, ancien membre du PRI, appelle à voter pour le PAN de Calderon, qui a promis de libéraliser l'énergie. «Il faut le faire pour l'électricité et le pétrole. On a besoin d'un président qui ait le courage d'aller vite en profitant de son état de grâce, estime-t-il. Notre production pétrolière commencera à décliner en 2008. Il faut donc lancer de toute urgence des investissements énormes en exploration production.» Avant d'ajouter: «Je ne veux pas qu'on privatise Pemex, je veux qu'elle entre dans le marché.»
De fait, malgré la hausse des cours et une très bonne rentabilité avant impôts, le monopole pétrolier a du plomb dans l'aile. Sureffectifs, coûts de production élevés... «Pemex est aux mains des ingénieurs et des syndicats. S'il y a une grève, le pays s'arrête», dénonce Luis Tellez. Fox s'est certes attaqué à la corruption qui régnait au sommet en punissant un scandale de versements de fonds au PRI. Selon les connaisseurs de la maison, cependant, du nettoyage reste à faire «à tous les étages».
Enorme ponction fiscale
Mais le mal dont souffre surtout l'entreprise, c'est la ponction fiscale sans équivalent que lui impose l'Etat, lui prélevant certaines années «jusqu'à 65% de son chiffre d'affaires et 112% de son résultat avant impôts», souligne un proche du dossier (2). Le pétrole représente 40% des recettes fiscales du pays et finance la majeure partie du budget.
Résultat, Pemex est en sous-investissement chronique depuis des années. «Pemex exploite un important gisement mais n'a les moyens ni techniques ni financiers d'explorer d'autres zones», poursuit un expert. La branche pétrochimique du groupe, où le secteur privé n'est admis qu'à titre minoritaire, souffre des mêmes maux. Sixième producteur mondial de brut, «le Mexique exporte pour 24 milliards de dollars de pétrole par an mais importe pour 18 milliards de pétrochimie», remarque, désabusé, Pascal Lalouel, directeur général de Total à Mexico.
Faute d'investissement dans l'exploration, les réserves prouvées en hydrocarbures ont baissé et ne représentent plus que dix ans de production. «Pourtant, il y a beaucoup à faire en offshore profond, où Petrobras, Shell, BP ou Total ont des compétences», souligne Pascal Lalouel. «Mais nous n'investirons que si nous pouvons nous rémunérer en fonction de la production», ajoute-t-il.
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