mardi, novembre 01, 2005

Tchad : Le modèle pétrolier contesté

Le Tchad persiste et signe dans sa volonté de réviser la loi régissant les revenus pétroliers, qu'il juge inadaptée. Cette loi, «modèle» de lutte contre la pauvreté, prévoit d’épargner une partie des recettes pétrolières à l’intention des générations futures. Un modèle fortement recommandé, sinon exigé, par la Banque mondiale. Du coup, celle-ci émet aujourd’hui des réserves concernant l’initiative du gouvernement.


«Les populations sont frustrées. L’opinion ne comprend pas pourquoi il lui faut épargner une partie des revenus pétroliers au profit des générations futures alors que nous vivons au jour le jour des difficultés pour faire face aux besoins des générations actuelles.» Mahamat Nasser Hassan, ministre tchadien du pétrole répondait, dans un point de presse vendredi, aux réserves émises par la société civile, mais également par la Banque mondiale, concernant la volonté tchadienne de revoir la loi intitulée 001, qui régit les trois champs pétroliers de Miandoum, Bolobo et Komé dans le bassin de Doba au sud du pays.

Doubler la part du Trésor tchadien

Selon cette loi du 11 janvier 1999, 10% des revenus doivent aller aux générations futures, soit une épargne équivalant à ce jour à 20 milliards de francs CFA. Parmi les 90% restant, 80% sont consacrés aux secteurs prioritaires (santé, éducation…), 15% au fonctionnement du Trésor et 5% au développement de la région pétrolière. «Le concept de générations futures est en soi fort louable, mais l’avenir pourrait être mieux sécurisé si ces ressources servaient à léguer à ces générations futures plus d’infrastructures et à mieux les éduquer par exemple», expliquait le Premier ministre, la semaine dernière, devant les diplomates et les bailleurs de fonds. Depuis une semaine, ce qui n’était qu’une rumeur persistante depuis un an est devenu réalité.

Le Tchad estime que la loi est inadaptée. Il déploie tous les moyens pour en convaincre l’opinion internationale et nationale. Le gouvernement souhaite doubler la part qui revient au Trésor et élargir le concept de secteurs prioritaires à la sécurité et l’administration publique. Cette initiative soulève des «réserves» du côté de la Banque mondiale, qui a publié un communiqué depuis Washington. Elle pointe les graves défaillances observées dans la gestion des finances publiques et reconnues par le gouvernement tchadien lui-même. C’est la résolution de ces problèmes qui permettra d’atteindre les objectifs de réduction de la pauvreté et non la révision de la loi 001, dit-elle en substance.

«Malgré les critiques sur l’absence de résultats concrets, après deux ans d’exploitation du pétrole, les citoyens tchadiens commencent à jouir de quelques réalisations, en dépit des faiblesses constatées dans l'exécution des dépenses publiques», plaide N’Djamena. Dernier argument en date avancé par le ministre du pétrole : la loi ne régit pour le moment que trois champs pétroliers alors que le consortium dirigé par Esso ne cesse de faire de nouvelles découvertes. Selon les autorités, il est donc urgent d’amender cette loi pour qu’elle couvre l’étendue du territoire.

Un habillage pour mieux piller les recettes pétrolières ?

«C’est un habillage pour mettre à plat le dispositif et cacher les vrais problèmes», estime Gilbert Maounodonodji, du groupe de recherche Monitoring pétrole Tchad-Cameroun, qui estime que «la crise sociale est délibérément entretenue et la frustration des fonctionnaires, des étudiants, des retraités et de la population tchadienne toute entière, est instrumentalisée pour arriver aux fins du démontage du mécanisme de gestion. Pendant ce temps, les responsables de détournement des deniers publics continuent de piller davantage les recettes et en toute impunité».

Arriérés de salaires, retraites non versées, Trésor asphyxié, les tensions financières n’ont en tout cas jamais atteint un tel niveau alors que le pays entame sa troisième année d’exploitation pétrolière. «Finalement, cette volonté est compréhensible et il ne s’agit pas de montants si élevés que cela», relativise un diplomate de N’Djamena. Selon ce dernier, «le problème est que le Tchad ne parvient pas à utiliser les revenus déjà existants. Ce n’est pas un problème d’argent, mais de compétences et de gestion publique. C’est finalement nous, bailleurs depuis des années qui devrions nous remettre en cause, car nous n’avons rien fait pour changer les choses».


Stéphanie Braquehais
Article publié le 31/10/2005