mercredi, octobre 20, 2004

Le sous-investissement pétrolier alimente-t-il la flambée des cours ?

Les chiffres dévoilés, lundi, par l'Institut français du pétrole montrent que grandes compagnies et pays producteurs privilégient leur rentabilité à court terme. Ils préfèrent financer l'exploitation des gisements existants, au détriment de l'exploration de nouvelles réserves.

Investir ? Pour quoi faire ? Telle semble être la question que se pose l'industrie pétrolière. Les compagnies et les pays producteurs d'or noir sont montrés du doigt, depuis quelques mois : par leur sous-investissement, ils alimenteraient la hausse des prix du pétrole en entretenant le risque de pénurie, face à une demande croissante d'énergie, notamment en Chine et en Inde.

Les chiffres rendus publics, lundi 18 octobre, par l'Institut français du pétrole (IFP), étayent en partie cette thèse. Certes, les investissements engagés, dans l'ensemble du monde (hors Chine et Russie), dans les activités d'exploration et de production de pétrole, devraient atteindre, en 2004, 125 milliards de dollars (100 milliards d'euros), en augmentation de 10 %. Et l'IFP table sur un nouveau bond, de 8 %, en 2005, qui porterait le montant global d'investissements à 135 milliards de dollars. Traditionnellement, rappelle l'institut, la courbe des investissements suit, avec six mois à un an de décalage, celle des cours du brut.

Cependant, l'IFP relève un relatif décrochage des deux courbes : "Nous prévoyons une hausse de 15 % à 18 % des investissements sur la période 2003-2005, alors que le prix du brut aura lui-même progressé de 34 %." Compte tenu de la flambée de ces derniers mois, qui a vu le prix du baril doubler en un an, "la part des revenus du pétrole réinvestie en exploration-production a tendance à diminuer, note l'IFP. Alors que sur la période 1995-2000 -ces investissements- représentaient chaque année plus de 20 % des revenus pétroliers, ils ne totalisent plus depuis 2001 que 15 % à 16 % chaque année". Soit leur plus bas niveau, en pourcentage, depuis la fin des années 1980, après le contre-choc pétrolier de 1986.

"En Amérique du Nord, les dépenses en exploration et production progressaient seulement de 1 % en 2003" , souligne l'IFP. Au Canada, elles "devraient diminuer de 4 % en 2004" , après, il est vrai, une année 2003 marquée par des progressions de 20 % à 30 % des dépenses des compagnies.

Plus inquiétant pour l'avenir, "le poids des capitaux investis dans la seule activité d'exploration continue de décroître et ce depuis déjà une dizaine d'années", révèle l'étude. Et ce "au profit du développement de gisements déjà en production ou des nouveaux champs, dont les nombreuses découvertes ont été réalisées au début des années 1990" , explique Nathalie Alazard, directrice des études économiques à l'IFP. Les données techniques de l'institut sont imparables : les spécialistes de l'exploration sismique à l'œuvre sur le terrain sont de moins en moins nombreux (il y en a deux fois moins qu'en 2000), et le nombre de plates-formes de forage en construction est en diminution.

PROFITS SANS PRÉCÉDENTS

En somme, les pays producteurs et les compagnies privilégieraient le moyen terme au long terme. Les uns et les autres "n'ont pas intérêt à investir dans des moyens de production qui auraient pour effet une baisse des prix alors qu'ils engrangent aujourd'hui les bénéfices d'un baril très élevé" , reconnaît Olivier Appert, président de l'IFP.

"Nous aimerions bien investir plus, mais encore faudrait-il que les pays producteurs ouvrent davantage leur domaine minier", s'exclame Xavier Préel, directeur de la stratégie de croissance à l'exploration-production de Total. Il rappelle "quelques ordres de grandeur : les cinq plus grandes compagnies pétrolières du monde, Exxonmobil, BP, Shell, Total et ChevronTexaco, représentent 15 % de la production mondiale, et de 25 % à 30 % des investissements en exploration-production".

Les sociétés nationales des pays producteurs de l'OPEP, comme la Saudi Aramco (Arabie saoudite), la NIOC (Iran) ou la PDVSA (Venezuela), assument "environ 8 % à 10 % des investissements mondiaux en exploration-production, alors qu'elles contrôlent 50 % à 60 % de la production" , souligne M. Préel. "Si nous investissons plus que notre part de production, poursuit-il, c'est parce que nous avons accès aux gisements les plus difficiles et les plus coûteux à exploiter. En un sens, nous ne sommes pas maîtres de nos investissements. Nous les faisons là où nous pouvons les faire."

Alors que les compagnies, avec un baril à plus de 50 dollars, engrangent des profits sans précédent, elles ne trouvent rien d'autre à en faire que de racheter leurs propres actions sur le marché, pour soutenir les cours, ou de distribuer des dividendes à leurs actionnaires. Autre paradoxe, "incompréhensible pour les opinions publiques" , reconnaît M. Préel : en raison des règles de la SEC, l'autorité boursière américaine, les réserves d'or noir inscrites dans les comptes des majors vont devoir être revues... à la baisse en fin d'année. Car les règles de partage de la production entre pays et compagnies font que, plus le prix du pétrole est élevé, moins la part en volume attribuée aux compagnies, pour couvrir leurs coûts fixes (cost oil) , est importante. Quant à la partie de la rente pétrolière qui leur est accordée par les pays producteurs (profit oil), elle va faire l'objet de renégociations serrées dans les mois à venir...

Source : Le Monde du 19 octobre 2004, article de Pascal Galinier